" La Charcuterie de l'horreur "

1 – L'abattoir

On raconte chez les anciens de la bataille décisive - celle qui s'est enlisée des mois et des mois durant, et qui a fait tant de morts - que des choses horribles se sont passées dans les tranchées et les champs dévastés.
Certains disent que les ennemis se relevaient, même après avoir été criblés de balles.
Chaque mort qu'on faisait en face se relevait et devenait intuable ! L'endroit où ça se passait était toujours le même : entre une église bombardée, qui protégeait un cimetière en ruines, et un bois aux grands arbres sombres. Et ça a duré jusqu'à l'extinction complète de notre Compagnie qui était affectée sur cette zone.
En face, ils avaient vraiment du mal à comprendre, d'abord. Et puis ils y ont vu de quoi semer la terreur dans nos rangs.


2 – Compagnie macabre

Même dans la plus sale des guerres on peut marcher contre l'ennemi sans sourciller. Il y a toujours une étincelle de sensiblerie dans l'oeil de celui d'en face.
Mais qui n'aurait pas fui contre une horde de soldats morts-vivants ?
Pour autant, il y en avait, y compris dans notre camp, qui ne chialaient pas, qui restaient impassibles.
Des jeunes garçons de la campagne, avec des regards de tueur. Des vrais.
Et ils se sont lancés contre les implacables compagnies macabres, dans le fracas des zombibardements.


3 – Le Massacre du Printemps

“Ça sert à rien, les musiciens. Toujours à dire qu'ils sont contre la guerre ces artistes, que c'est pas beau, tout ça. Des lâches ! Un bon coup de pied au cul qu'il leur faut, oui ! C'est malheureux à dire, mais ce qu'il leur faudrait, à ces jeunes, c'est une bonne guerre !”

Antonin Malappris, charcutier.

4 – La Chambre froide

Vivien n'avait pas de doute sur la cruauté des gens. Y compris sa famille.
«  Vous croyez qu'à force de l'enfermer, il va moisir ?
De toutes façons, il mouche rien, ce môme. Seul dans la réserve, il en dira pas moins. C'est sa place. Et puis je veux plus le voir gribouiller des feuilles alors qu'il est là pour trimer.
Ce gamin est dérangé. L'oncle, t'as pas dit qu'il dessinait des enfants en train de mourir empalés ?
Egorgés comme des porcs ! Avec le sang et tout !
Ouais, sauf qu'il inscrit des noms sur les dessins. Les noms de ses copains de classe...
Demain, on lui fera passer le goût du morbide. On va lui faire peur. On va le plonger dans du sang de porc. »
Il n'écoutait plus les quolibets et les imprécations. Il ne percevait plus que le froid.


5 – Le Châtiment du Nécrophile

« Il a qu'à dormir avec les cochons, c'est la place des poètes ! »
L'oncle n'avait pas été tendre avec son neveu. Mais il était bien loin de se douter où se situait le réel problème de ce gros garçon joufflu, qui s'était réfugié chez lui un soir pour échapper à son père charcutier. Le garçon s'affirmait animé de passions d'un autre rang : la sublimation artistique occupait ses pensées et mobilisait son esprit.
Mais rien ne parvenait à éteindre sa frustration intime.
Il fallait qu'il passe à l'acte.
Dont acte.
Aucun cimetière ne lui échappa.
Philibert eut un jour la punition qu'il méritait. La castration puis la mort. Puis l'ingestion quasi-totale de son anatomie par ses conquêtes déterrées.
Lui qui se prenait pour un artiste... espérons qu'il apprécia la mise en scène.


6 – Dépossédé

Extrait du journal d'un rescapé de la guerre.
La guerre est furieuse. Et cruelle. On n'a jamais eu besoin de la voir en vrai pour le savoir. En voir plus, ce serait devenir fou. Mais c'est à croire qu'un dieu, aveugle et sourd, anonyme et insensible, nous en voulait, pour quelque chose qu'on ignorait.
Et tous, comme des boeufs, se ruent sans âme sur les sentiers de la bataille à la moindre déclaration de guerre, alors même qu'on sait tous que c'est une immense bêtise. Et la colère que l'on ressent contre le destin qui se détraque et nous fait vivre les ratés de l'histoire se retourne contre l'ennemi.


7 – La Marche des Mourants


Une fois la bataille perdue, la guerre n'est pas vraiment finie pour ceux qui ne sont pas encore morts.
Commence la longue marche des prisonniers vers le lieu de leur humiliation finale.
Car pourquoi retenir des gens si ce n'est pour leur faire subir d'atroces choses ?

8 – Le Fils du général


Le général qui dirige le camp de prisonniers est fier de celui qu'il appelle son fils. Un vilain garçon dont le coeur n'a jamais battu, et dont le sang ne parcourt qu'à peine le corps. Il a 18 ans, mesure 84cm, porte l'uniforme de rigueur, s'exprime correctement, malgré quelques crises de violence incontrôlables. C'est un être doué et calculateur, un enfant quasi-éternel et insensible.
Le général fait beaucoup de cauchemars.
Le général ressent parfois l'envie de l'écraser.


9 – Barocco


Même les colonels ont besoin de tendresse.
Heureusement, les filles du Roccoco's Bar savaient en donner.

10 – Victor et Barnabé

Les sous-sols de l'opéra ne semblaient guère différents du camp. Stuc, dorures, lourdes draperies dans les étages, mais briques nues et chaînes, torture et gégène pour Vivien, forcé dans les cachots à délivrer la mort – ou plutôt la non-vie – à ses anciens co-détenus, pour la plus grande gloire de l'Empire.


11 – Chorégraphie Cadavérique

“Tu vois voler les chaînes au rythme menuet
Et tu lisses ta moustache luisante
Tu mets les morts en scène : un nouvel art est né
Tu en es le nouveau corybante
(...)
Dresseur de mort tu as des frères
Ils comprennent ton art
Dresseur de mort tu as des frères
Raffinés charognards”

Dresseur de mort (poème)


12 – Les Illusions tordues

Vivien regardait défiler les paysages froids. Quand l'armée libératrice avait surgi, il avait suivi le mouvement de façon mécanique et hébétée. Et le voilà, maintenant, dans le train où des centaines de pauvres hères sortis des prisons, s'entassaient, en route pour la maison.
La guerre était finie, mais sa malédiction demeurait.


13 – Fuligine


Personne ne le reconnaît.
Seul soldat de son village à être revenu, les autres sont pleurés, un monument aux morts se dresse, mais l'histoire, celle avec un grand H, a oublié ses souffrances.
Vivien ne peut plus passer sa rage sourde sur ses anciens camarades de classe...


14 – La Nuit des Porcs-Vivants

Article de l'Est Libéré, 12 Octobre 1945 :
Cochonaille dégénérée !
Massacre atroce à la fête du cochon.

La découverte des rues baignant de sang a fait un choc terrible aux habitants du village voisin. On crut d'abord à une orgie de sang de porc, puis à un suicide collectif, mais il n'y avait plus âme qui vive dans les rues du bourg, ni un seul cadavre, humain ou porcin. On finit par retrouver des restes humains dévorés, marqués du sceau étrange du groin. Des cochons particulièrement sauvages semblaient être à l'origine du massacre perpétré dans la nuit !


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