" Le Jardin des délices "

1 - Où s’en vont les fées ?

La nuit de la fin du monde.

Au loin, dans les forêts impénétrables, un vent d’allégresse tragique soufflait : les arbres se réveillaient, les esprits reprenaient conscience, et les assemblées des fées se réunirent au sein des bois. Ils parlementèrent longtemps jusqu’à ce que l’un d’entre eux se dresse pour montrer le disque de lumière resté seul dans les cieux.

Alors la forêt elle-même s’ébranla : les arbres arrachèrent leurs racines, et les nefs féeriques émergèrent des lacs et des étangs pour embarquer toute la procession vers l’astre d’argent.


2 - Un matin dans les ruines


Le monde est éteint, le soleil s’est couché pour de bon : alors l’être humain réagit comme le devait cette espèce qui incarnait l’intelligence et la dignité.

En instaurant le chaos sur Terre.

Les survivants mutilés instaurèrent donc un régime politique d’orgie et de guerre permanentes, luttant les uns contre les autres pour assouvir leurs besoins et leurs plaisirs, au beau milieu des ruines.


3- Les dieux divaguent

"Attention, attention, Dieu voit."
J. Bosch, inscription sur Les sept péchés capitaux

Tout tenait dans le monde ancien grâce à la croyance en Dieu, ou ses remplaçants (la démocratie, la science, la pizza quatre fromages...).
Mais manifestement Dieu et ses potes s’étaient barrés loin de tout ce fatras.
Donc, on pouvait faire ce qu’on voulait, nulle punition divine ou humaine ne nous attendait, puisque la mort était aléatoire et que les lois n’avaient pas assuré le bonheur des pauvres gens morts dans la nuit fatale.
Les principes supérieurs ? Aux abonnés absents ; le téléphone est coupé.


4 - Dellamorte Dellamore

A tomber amoureux d’une morte, autant qu’elle soit jolie – et qu’elle couche !
A tomber amoureux d’une tête, autant qu’elle ait de la conversation – même si elle ne peut pas tout comprendre !
A tomber amoureux d’un casse-tête, autant que ce soit un crâne-puzzle – et que le jeu recommence !
A tomber amoureux d’une cloche, autant qu’elle contienne un ciel – même privé d’anges !
A tomber à mort, jusqu’à ce que l’amour nous sépare – et le je recommence.


5 - Schizo le clown

Il était une fois un homme.
Cet homme, d’un naturel très doux, peu sûr de lui au quotidien, travaillait dans une usine à la chaîne. Cette vie ne lui déplaisait pas vraiment, mais il avait un rêve au fond de lui. Faire rire, divertir, amuser les petits et les grands. Leur faire oublier leur quotidien tracassant. Il décida un jour d’accomplir ce rêve : son pays ne vantait-il pas les possibilités pour le citoyen moyen de s’extirper d’un quotidien mineur. Ecole du cirque, stage de clown, initiation à la création burlesque ; piètre élève, mais l’intention y était. Il rejoignit une troupe à la faveur d’un entretien d’embauche.
On l’appelait le Clown.
Sa médiocrité le tuait lentement. Il en était arrivé à la conclusion que la vie ne valait pas la peine d’être vécue. Autrefois sincèrement sentimental, il devenait de plus en plus sardonique.
Il était prêt pour la fin du monde ancien.


6 - Docteur dément

Fait divers – Juvisy, 25 décembre 2000.

Une femme enceinte enlevée puis retrouvée éventrée.
La découverte macabre d’hier est venue conclure une enquête qui piétinait : qu’était devenue la jeune femme enceinte de 28 ans disparue dans la soirée du 24 décembre au sortir de courses dans l’hypermarché de la banlieue de Juvisy-sur-Orge ?
Le cocker d’un chasseur d’ortolans, venu se défouler dans les bois en ce jour de noël, a mis la truffe sur le corps atrocement mutilé de la jeune femme : le corps avait été éventré, l’enfant presque arrivé à terme avait disparu, et une inscription avait été gravée sur la chair de ses bras avec un fer à souder : « j’ai donné naissance au nouveau messie ».

7 - Cantique pour un cadavre

Lettre du petit Harold, 13 ans, à son grand père qu’il n’a jamais connu.
Grand père la mort je t’écris pour te dire que je suis triste et que je ne peux plus le supporter, et que je veux te rejoindre. Mon amoureuse est partie et elle me manque. Quand je suis seul le soir devant ma cheminée, je pleure. Tout le monde est enfermé chez soi, plus personne ne vient me rendre visite, mon vieux chat lui aussi est mort il y a longtemps, et quand la flamme de ma lampe s’éteint, je reste encore à pleurer dans le noir. Grand-père, vient me chercher, je veux mourir et la retrouver là où elle m’attend.

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8 - Comptine des enfants-monstres


- Maman, maman, ouvre moi !
- Oh, tais-toi, on va passer par la porte de derrière...
- Moins vite j’ai mal à la jambe ! J’ai très mal à la jambe !
- Mmmh, pas de papa, pas de maman....
- Papa, papa, je suis là !
- Oh tais-toi on va ouvrir la fenêtre !
- Moins fort, mon oreille saigne et mon cœur tremble...
- Mmmh, pas de papa, pas de maman... Qui va nous aimer maintenant ?


9 - Hieronymus


Un homme pendu dans une cloche : ses jambes grises et bleues se balancent dès lors qu’elle sonne.
Un autre cadavre, pendu à une clef, accrochée à un mât.
Des démons dans une cornemuse rouge feu visent une grosse religieuse prisonnière.
Des foules de morts dans une rivière rougeoyante ; un démon-chat joue d’un tambour dans lequel un homme est enfermé.
Des chiens enragés dévorent les entrailles d’un soldat vêtu de fer tombé à terre.
Un démon à la peau verte porte dans son bec un panier avec un homme et un singe qui se battent.
Et un moulin aux ailes en feu : à l’intérieur brille une lueur.
Mais dans quel monde vivons-nous ?


10 - Hymne à la Lune

Un visage qu’on désire et qu’on ne fait que croiser : tous ceux qui ne peuvent pas, de leurs seuls bras, renverser le cours des fleuves du temps, sont ses soupirants muets. Et ma lune est perdue dans les cieux obscurcis de son esprit brumeux...
Une silhouette qui garde le même charme dans nos mémoires année après année : la tristesse est de mise dans notre hymne à la lune, camarades de voyage des lutins et des rats, qui prétendent pouvoir s’en aller jusqu’à elle à la nage aux nuées. Et ma douce est perdue dans la ville abattue, sans espoir de retour...


11 - Le Bateau-fée

Agitez-vous, remuez-vous : prenez marteaux, ciseaux, échelles et linteaux : réparez le bateau-fée échoué dans les déserts de cendre ; la lueur de Séléné sera notre fanal.


12 - La nef des fous

A la lanterne sourde sur la mer de nuées, le timonier nous guidera dans l’espace noirci. Et moi, joueur de luth perdu dans la mâture, voisin de la vigie aveugle, je jouerai pour entraîner les rameurs qui chantent dans la cale.


13 - Ode à la Terre


La Terre est un bocal, et un jour nous tomberons comme des mouches asphyxiées.
Et nous retournerons en elle quand nous cesserons d’exister. A regarder le globe depuis l’espace, si peu de traces de l’homme...

A quoi peuvent donc bien servir nos vies mises bout à bout, sinon à nous enchaîner les uns aux autres, morts et vivants, jusque dans le néant ?

La Terre aura été notre radeau temporaire dans le vide.


14 - La fin des mondes

Yggdrasill.
Les hommes du Nord pensaient que le monde et ses neuf dimensions étaient soutenus par un arbre gigantesque, jusqu’au jour de la destruction finale. Mais l’écureuil Ratatosk et l’autour Vedrfolnir, l’aigle Hraesvelgr et le serpent Nidhoggr parcourront encore longtemps les branches et racines d’Yggdrasill.


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